SPA : sur les pas des écrivains, de Spa au Val de Vesdre (1999)

Spa était un épitomé de vie. (Fenimore Cooper)

Je crois réellement que si j’avais le choix d’un séjour, depuis les bords de l’Indus jusqu’au Pôle, ce site serait précisément celui que je choisirais. (Lady Morgan)

Spa n’est pas une ville comme les autres. Elle a un rapport intime avec le temps, avec l’Histoire. Ainsi, elle bénéficie de la plus forte concentration de fantômes de célébrités… Et elle a réussi le défi d’Alphonse Allais : être “une ville à la campagne.

Comment mieux (re-)découvrir Spa qu’à travers le regard d’un enfant ? Dans Le lieutenant souriant, Bernard Gheur fait visiter la ville à ses deux jeunes héros sous la conduite de Victor, un vieux Spadois…

…Victor nous montra le Pouhon, cette fontaine où coule une eau saumâtre, mais prodigieusement riche en fer. Il nous raconta le séjour de Pierre le Grand. Épuisé par les excès, le tsar de toutes les Russies était venu essayer les eaux de Spa, en 1717. Il en fut tout retapé. La vogue extraordinaire de Spa était née de cette visite. Ce bourg perdu dans les forêts d’Ardenne devint “la maison de campagne du grand monde de l’univers”. Les princes et les princesses, les plus fameux artistes, y passaient la belle saison, respirant l’air salutaire, se gorgeant de cette eau ferrugineuse, qui combattait les “pâles couleurs”, tous les états de langueur et de mélancolie. On se rendait, en équipage, à la source de la Géronstère, à une bonne lieue de Spa. Dans l’ombre des grands arbres, on écoutait de la musique, on dansait, on assistait à des farces, à des acrobaties. Puis on gagnait la Sauvenière, par le chemin des Fontaines. Le soir, on se retrouvait à la Redoute. On jouait au
“pharaon”, au “crebs”, au “biribi”( … ).

Spa occupe déjà une place de choix dans les plus anciens guides touristiques. Ainsi Hans Ottokar Reichard lui consacre cinq pages – pour une seule sur Liège ! – dans son Guide de l’Allemagne publié en 1793 : “C’est vers la fin mai qu’arrive dans ce lieu une foule d’étrangers de toutes les nations : les uns pour rétablir par les eaux salutaires qui y coulent, leur santé affaiblie ; les autres pour y jouir des agréments de ce charmant séjour et des plaisirs variés que l’on y trouve.

En fait, Pline l’Ancien, déjà au 1er siècle, évoquait ses eaux et, depuis, nombreux sont les voyageurs qui ont relaté leur passage à Spa. Ces récits sont parfois contradictoires et il est amusant de les comparer en se rappelant, bien sûr, que chaque époque a ses goûts, ses modes, et ses ridicules… Dans son Voyage en Ardennes, Liège et Pays-Bas, Pierre Bergeron (vers 1580-1637) fait œuvre de géographe ; il écrit en 1629 :

Spa est dépendant du marquisat de Franchimont, château fort à une lieue de là et appartenant à l’évêque de Liège. Sa situation est telle que parmi les horreurs alpestres de ces Ardennes, entre les rochers, les bois et les torrents, elle n’est point désagréable en la saison d’été, car son habitation étant sinueuse entre les montagnes qui la couvrent presque toute du côté du nord, elle s’élargit un peu vers le midi dont elle tire quelqu’air plus ouvert et plus doux. (…) Ce lieu est un des plus célèbres et fameux de l’Europe pour l’abord de toutes nations, à cause des eaux médicinales qui y sont estimées les meilleures, plus salubres et plus universellement guérissantes qu’en tout autre endroit du monde.

S’il est dans l’esprit du début du XVIIe siècle de voir nos aimables vallées comme des “horreurs alpestres“, il est étonnant de lire le témoignage que le secrétaire de l’ambassadeur de France à Liège, N. Jolivet, écrit en 1783 : “Placé dans un entonnoir, c’est un four pendant l’été et une glacière au moindre froid. (…) À moins d’être attiré à Spa par le jeu, les femmes ou la santé, on doit s’y ennuyer au bout de vingt-quatre heures. C’est ce que j’ai éprouvé et bien des honnêtes avec moi. Hâtons-nous d’en sortir.” Parions que ce Jolivet était un grincheux !

En effet, depuis la visite du tsar Pierre le Grand en 1717, la réputation de Spa n’a cessé de grandir tout au long du siècle et, dans ces dernières années de l’Ancien Régime, la gloire de la cité est à son apogée. Elle recevra d’ailleurs les plus grands personnages du temps (une peinture monumentale, Le livre d’or, le rappelle au Pouhon Pierre le Grand). La Révolution et ses bouleversements sociaux sont néfastes à Spa comme à tous les lieux de plaisir chers à l’ancienne élite. Napoléon boude la cité, coupable à ses yeux d’être trop anglophile. Spa ne retrouve un nouveau souffle que sous le règne de Guillaume Ier. Le souverain des Pays-Bas entend gâter ses nouveaux sujets spadois en offrant à leur ville un visage rajeuni.

Pourtant Fenimore Cooper (1789-1851) note en 1832 : “La gloire de Spa s’est évanouie !” Le jugement de l’auteur du Dernier des Mohicans est sans doute beaucoup trop sévère. D’ailleurs l’écrivain et journaliste parisien Jules Janin (1804-1874) brosse de la cité des Bobelins en 1839, un tableau tout différent : “À Spa, la vie se passe au grand air, à cheval, à pied, en voiture, en causerie, en douce flânerie. On a un jour de plus, c’est vrai, mais un jour si léger à porter ! Ce qu’on fait durant vingt-quatre heures, on l’ignore et c’est tout dire. Les malades? A Spa, il n’y a que des gens qui sont guéris. Les belles malades viennent se guérir par le bal, d’avoir trop dansé l’hiver, par le chant, d’avoir trop chanté ; il leur est permis, que dis-je permis ? il leur est ordonné de se faire belles, parées, souriantes. On boit trois petits verres d’eau, on se promène pour se délasser du cheval, on monte à cheval pour se reposer de la voiture ; le spectacle est le bienvenu après le bal, le bal est l’avant-coureur du concert.

À la suite de Jules Janin, vivons donc notr séjour spadois “au grand air” et découvrons la cité “à cheval, à pied, en voiture“… ou en VTT.

CHASSE AUX FANTÔMES D’ECRIVAINS DANS LES RUES DE SPA 

L’Office du tourisme

Cette promenade pédestre parcourt les rues du centre et fait la part belle aux grands visiteurs d’antan. Le circuit, qui peut êt rebouclé en une bonne heure, prend son départ devant l’Office du Tourisme.

La Place verte

Traverser la rue Royale pour rejoindre la place du Monument ; emprunter son trottoir de droite jusqu’au pied de la rue Albin Body ; laisser celle-ci sur la droite et suivre le côté droit de la place Verte.

L’Hôtel de Portugal (prop. Thonart), la rue Neuve et la place du Monument en 1955 © Collection privée

L’immeuble n°25, actuellement occupé par un traiteur, a abrité auparavant une librairie tenue par le poète Henri Falaise (1948-1999). L’écume des jours a ainsi vu se succéder dans ses rayons des “bouquineurs” et écrivains du cru, comme le poète Jean-Luc Godard (1946), le nouvelliste Ugo Crespini (1955), le poète et collagiste André Stas (1949-2023) ou encore l’inclassable “dessinateur littéraire” qu’est Roland Breucker.

Les jardins du Casino

Traverser la place pour prendre, à gauche, la rue Servais ; dépasser la rue de la Poste puis, à la hauteur de la rue Léopold, emprunter à gauche le square ménagé entre le bâtiment des Bains et celui du Casino ; descendre les escaliers qui mènent aux jardins du Casino. À votre droite, au-delà de la bibliothèque communale, se dressent les bâtiments néoclassiques du casino, qui remplacent des édifices antérieurs. La Redoute, toute première salle de jeux au monde, a été inaugurée ici en 1764.

Le casino de Spa © wikimapia

Le prince Charles-Joseph de Ligne (1735-1814) évoque avec une irrésistible drôlerie le public qui fréquente la Redoute : “J’arrive dans une grande salle où je vois des manchots faire les beaux bras, des boiteux faire la belle jambe ; des noms, des titres et des visages ridicules ; des animaux amphibies de l’Eglise et du monde sauter ou courir une colonne anglaise ; des milords hypocondres se promener tristement ; des filles de Paris entrer avec de grands éclats de rire, pour qu’on les croie aimables et à leur aise, mais espérant par là le devenir ; des jeunes gens de tous les pays, se croyant et faisant les Anglais, parlant les dents serrées et mis en palefreniers, cheveux ronds, noirs et crasseux, et deux barbes de juif qui enferment de sales oreilles ; des évêques français avec leurs nièces ; (…) des Hollandais cherchant dans les gazettes le cours du change ; trente soi-disant chevaliers de Malte ; (…) quelques princes incognito, qui ne feraient pas plus d’effet sous leur vrai nom ; quelques vieux généraux et officiers retirés pour des blessures qu’ils n’ont jamais eues ; quelques princesses russes avec leurs médecins ; et palatines ou castillanes, avec leur jeune aumônier ; des Américains ; des bourgmestres de tous les environs ; des échappés de toutes les prisons d’Europe ; des charlatans de tous les genres ; des aventuriers de toutes les espèces. (…) Tout cela s’appelait un déjeuner dansant.”

En 1859, le journaliste socialiste français, Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) fait preuve de plus de sévérité mais de moins d’humour lorsqu’il évoque les clients de la Redoute : “Le soir, on fait un tour à ce qui s’appelle la Redoute. On lit les journaux, on joue, et l’on danse. Je ne danse ni ne joue, et je n’ai guère envie de lire : cette Redoute me déplaît. Tout ce monde équivoque, ce luxe, cet étalage d’or, me scandalise.”

Douze années auparavant, Victor Hugo se montrait déjà aussi critique à l’égard de certains curistes mondains qui s’amusaient à d’autres jeux que celui de la roulette :

Voici quels sont, en cet an 1847, les plaisirs des baigneurs riches, nobles, élégants, intelligents, spirituels, généreux et distingués de Spa :
1′ Emplir un baquet d’eau, y jeter une pièce de vingt sous, appeler un enfant pauvre, et lui dire : Je te donne cette pièce si tu la prends avec les dents. L’enfant plonge sa tête dans l’eau, y étouffe, y étrangle, sort tout mouillé et tout grelottant avec la pièce d’argent dans sa bouche, et l’on rit. C’est charmant.
2′ Prendre un porc, lui graisser la queue, et parier à qui la tiendra le plus longtemps dans ses mains, le porc tirant de son côté, le gentilhomme du sien. Dix louis, vingt louis, cent louis.
On passe des journées à ces choses. Cependant la vieille Europe s’écroule, les jacqueries germent entre les fentes et les lézardes du vieil ordre social ; demain est sombre, et les riches sont en question dans ce siècle comme les nobles dans le siècle dernier.

Le Pouhon Pierre le Grand

Emprunter la rue Royale vers la droite jusqu’au Pouhon Pierre le Grand.

Le Pouhon est au milieu du village dans la grande place et est environné d’un beau marbre, avec des sièges de pierre à l’entour, et est toujours rempli suffisamment pour tous ceux qui en veulent boire…

Érigé en 1820, l’édifice décrit par Fenimore Cooper a été remplacé par le Pouhon actuel en 1880. Pénétrez dans le pavillon octogonal et imitez les curistes d’antan : goûtez chaque source spadoise ! Chacune a son goût propre, sa personnalité…

Le Livre d’or de Spa © sparealites.be

L’ancien jardin d’hiver abrite Le livre d’or, une imposante peinture (1894) d’Antoine Fontaine qui représente une centaine d’hôtes illustres parmi lesquels Grimm, Fabre d’Eglantine et Alexandre Dumas, Monteverdi, Gretry et Liszt, sans parler des empereurs, des rois et des puissants d’un moment.

La rue Schaltin

Tourner le dos au Pouhon et monter la rue Schaltin. Cette rue porte le nom d’un médecin dont le père, pharmacien, avait créé le fameux Elixir de Spa -que l’on peut encore savourer aujourd’hui.

L’actuelle église Notre-Dame et Saint-Remacle a été construite en 1885 dans le style roman-rhénan. Elle abrite un haut-relief de Jean del Cour et une remarquable statue du XVème siècle représentant saint Remacle.

En face de l’église, à l’endroit de l’actuelle place Achille Salée, se dressait jusqu’au début du XXème siècle l’hôtel de Flandre qui hébergea Fontenelle, Franz Liszt ou encore Jules Janin.

(Si vous vous sentez en jambes, nous vous conseillons de monter, en un rapide aller-retour, jusqu’au Waux-Hall, sinon sautez le paragraphe suivant et continuez la promenade)

Le Waux-Hall

Dans le prolongement de la rue Schaltin, la rue du Waux-Hall puis la rue de la Géronstère montent jusqu’au Waux-Hall. Cet imposant édifice (qui abrite aujourd’hui le musée de la Lessive) a servi de salle de jeux dès 1770. Le Waux-Hall connaît aussitôt le succès comme casino, mais on y organise aussi bals et concerts. Toutefois, lorsque Fenimore Cooper s’y rend en 1832, l’éclat des lieux est déjà terni :

Le Waux-Hall est un ancien lieu de réjouissances, flanqué au loin dans les champs, désert et désolé, par suite de la concurrence d’un édifice rival de création plus récente. Les dimensions et le style de ces constructions donnent une idée de la gaieté et de la magnificence anciennes de Spa ; quoique le seul usage de l’une de ces bâtisses soit de fournir maintenant une salle à un prêtre protestant pour y prêcher le dimanche.

La rue Xhrouet

Redescendre jusqu’à la place Achille Salée puis tourner à droite en marchant sur le trottoir de droite de la rue Xhrouet. Nous longeons de belles façades d’anciens hôtels. Ainsi, l’actuelle Académie de Musique remplace les hôtels de Spa puis d’York qui ont hébergé la tragédienne Mlle Mars, le roi de Prusse Frédéric Guillaume III, Disraeli ou Charles Rogier.

La rue de la Sauvenière

Poursuivre le surplomb jusqu’au pied de la rue de la Sauvenière. On aperçoit, plus avant sur le côté gauche de la rue de la Sauvenière, le bâtiment de l’ancien hôtel Britannique (qui abrite aujourd’hui l’internat de l’athénée royal). Le kaiser Guillaume II y installa son Grand Quartier Général en février 1918. L’hôtel connaîtra un sort similaire en 1944, comme le raconte Bernard Gheur dans Le lieutenant souriant.

La rue Entre-les-Ponts

Descendre, à gauche, la rue Rogier puis emprunter, à droite, la rue Entre les Ponts. Au n° 20, dans une maison qui portait jadis l’enseigne de L’espinette, a logé et aimé un grand séducteur… Casanova rapporte son séjour spadois en 1783 dans son Histoire de ma vie :

À la promenade du matin, je me suis mis en compagnie de quelqu’un qui m’informa de toutes les beautés féminines que nous y vîmes. La quantité de filles aventurières qui se trouve à Spa dans la saison des eaux est incroyable, elles y vont toutes croyant de faire fortune, et elles restent toutes attrapées. La circulation de l’argent y est étonnante, mais toute entre joueurs et marchands. Les traiteurs, les aubergistes, les marchands de vins, et les usu-riers en absorbent une grande partie, et les filles ne se voient réduites qu’à des passades. La passion du jeu est plus forte que celle de la galanterie ; le joueur à Spa n’a pas le temps de s’arrêter à considérer le mérite d’une fille, ni le courage de lui faire des sacrifices. (…) Tout cet argent sort de la poche des dupes qui courent s’abîmer dans ce trou nommé Spa de quatre cents lieues à la ronde. Celui d’y aller prendre les eaux est généralement un prétexte. On n’y va que pour des affaires, pour des intrigues, pour jouer, pour faire l’amour, et pour espionner aussi. Un très petit nombre d’honnêtes gens y va pour s’amuser, ou pour se reposer des peines que son emploi lui donne toute l’année dans l’endroit de sa résidence.

La rue du Marché

À l’extrémité de la rue Entre-les-Ponts, tourner à gauche dans la rue du Marché. L’ancien vinâve du marché a vu défiler dans ses auberges et ses hôtels de nombreuses personnalités, comme une plaque le rappelle sur la façade du n° 62, ou comme à l’ancien Lion d’Or (n° 60) où logèrent Alfieri, Fragonard ou Grimm. Plus loin, Le Cornet (n °22 et 24, derrière une maison Art Nouveau) a accueilli dès 1760 le Club Anglais et des hôtes tels le roi d’Angleterre Charles II, le duc Cosme de Medicis, Mirabeau, Meyerbeer… À l’autre coin de la même rue, une plaque rappelle la venue de Victor Hugo. En face, sur la petite place devant le Pouhon, une fontaine publique dite Aux armes d’Autriche (photo) débite l’eau ferrugineuse et carbogazeuse de la source Marie-Henriette (goûtez-la aussi !).

La place du Perron

Tourner à droite dans la rue de la Promenade de Quatre Heures ; poursuivre jusqu’à la place du Perron. Comme dans toutes cités de la principauté de Liège, le perron qui se dresse en face de l’hôtel de ville est le symbole des franchises communales. Il a été érigé à la fin du XVIe siècle.

Le bâtiment Régence qui abrite aujourd’hui les services communaux a connu plusieurs affectations. Comme hôtel, il a reçu le prince de Hesse et la Famille royale des Pays-Bas. Le père de John Cockerill en avait fait sa résidence en 1813 (les parents du grand industriel sont tous deux inhumés au cimetière de Spa).

À l’autre extrémité de la place, la pyramide de verre abrite la source Prince de Condé (n’oubliez pas de la goûter).

La rue de l’Hôtel de ville

Emprunter la rue de l’Hôtel de Ville. Sur le même trottoir que la maison communale, la maison qui porte le n° 36 a hébergé en juillet 1899 Angéliska de Kostrowitzky, la mère de Guillaume Apollinaire (plaque commémorative sur la façade). Bien qu’elle soit venue à Spa pour y chercher fortune et bonnes fortunes, elle n’est restée ici que quelques jours car elle n’avait pu obtenir l’autorisation de fréquenter les salles de jeux. Il semble qu’Apollinaire et son frère lui aient rendu visite dans cette maison.

La rue Delhasse (où a grandi l’éditeur responsable de wallonica !)

Emprunter, à droite, la rue Dagly puis, à gauche, la rue Delhasse. Le n°20 (à droite, au carrefour) est l’ancien hôtel d’Irlande où sont descendus Cooper et Proudhon. L’auteur du Dernier des Mohicans avait ajouté fièrement à sa signature sur le registre de la maison : Citoyen des États-Unis d’Amérique.

La place Royale

Suivre l’esplanade de la place Royale. À gauche, l’ensemble formé par les bâtiment des Bains et du Casino ne manque pas de charme. Nelly Kristink évoque le même endroit – mais au début du XIXème siècle ! – dans son roman La Rose et le Rosier :

Nous nous trouvâmes libres, vers cinq heures, face aux petits chevaux de la place Royale qui attendent là les amateurs du classique tour des fontaines et qui secouent leurs pompons rouges d’un air si résigné de vieux habitués. Devant le théâtre de la Redoute, nous nous amusâmes à lire l’affiche du sieur Dubocage annonçant la reprise du Grand Deuil de Berton et de la Fausse Magie de Grétry avec Madame Cardinal. Au-dessous on avait ajouté à la plume : “Nous sommes en mesure d’affirmer que Talma jouera ici Brutus, en septembre prochain“. Une main facétieuse avait changé Brutus en Brutes, au crayon rouge, et dessiné en marge un bonnet phrygien…

Alain van Crugten, lui, imagine la place Royale comme le cœur d’une vraie station de montagne dans Spa si beau, un roman récent aussi drôle que décapant.

Les débutants et les inexpérimentés font la queue de l’autre côté de la Place Royale, à la station inférieure du chemin de fer à crémaillère qui gravit la Montagne d’Annette et Lubin, où l’on ne trouve que les pistes bleues des familles. Les autres montent à pied dans l’autre sens, vers le sud, ou font quatre arrêts d’autobus jusqu’au téléphérique du Signal de Botrange. (…)
Jackson se promène (…) sur la route de la crête, partant d’Annette et Lubin. Il fixe des peaux de phoque à ses skis de randonnée et s’en va par combes et ravines…

Le parc de Sept Heures

Se diriger vers l’extrémité de la place Royale ; dépasser par la droite l’Office du Tourisme et pénétrer dansJ le Parc de Sept Heures par son allée centrale. La scène décrite par Nelly Kristink dans La Rose et le Rosier se déroule au  début du XIXe siècle, pendant la visite de la princesse Pauline, une des sœurs de Napoléon Ier :

Nous demeurâmes là, debout, près du chandelon, et le soleil qui déclinait fardait de lilas les massifs d’hortensias qui ornaient l’entrée de l’avenue. Des voitures découvertes commençaient à défiler et les piétons s’écartaient pour les laisser passer. On se saluait au passage. Les dames, sous leurs ombrelles de dentelle, portaient des toilettes claires. Un joueur de tours vint dérouler son tapis vert au pied d’un orme, suivi bientôt par un marchand de “bergamotes”, remplies de grains d’anis, de fenouil ou de coriandre que les buveurs de pouhon ne manquent jamais de mâcher après avoir ingurigté leurs verres d’eau. L’animation grandissait à vue d’œil et notre ami, pris de fièvre, se mit à appeler les chalands d’une voix aiguë, quand un ruban d’attelages apparut soudain à l’extrémité de la rue Royale. Il y eut un brouhaha.
-La voilà, la voilà, s’écria le chandelon en agitant son chapeau à bout de bras.
Trot des chevaux, crissements des roues, éclat des carrosseries, acclamations, sourires de femmes parées… tout cela passa comme un flot étincelant et s’évanouit dans un halo de poussière dorée.
– Qui est-ce ? demanda Marceline.
– La Princesse Pauline, répondit le vieux, et il aspira une goulée d’air.

Combien d’écrivains, de musiciens, d’artiste ont rêvé sous ces arbres ou flâné sous la galerie Léopold II ? Quelques monuments commémoratifs se dressent dans le parc, dont celui de Léon Dommartin, alias Jean d’Ardenne (1839-1919). Né à Spa, journaliste dans sa ville puis à Paris, il fut aussi un écrivain soucieux de sa région natale et connut la notoriété avec L’Ardenne.

La colline qui domine le parc au nord (à votre droite) est parcourue, comme tous les coteaux boisés alentour de promenades aménagées et balisées. En 1832, Fenimore Cooper salue ce souci d’accueil du curiste :

Une dépense insignifiante a doté la rude colline surplombant Spa, couverte surtout de sapins, d’une succession de belles promenades. Des sentiers serpentent à travers ce taillis, d’agréables surprises y sont ménagées aux étrangers, et l’on trouve à tous les plus beaux points de vue des bancs et des pavillons. L’un de ceux-ci, couvert par un abri protecteur de température, a un nom qui nous amusait beaucoup, quoique bien approprié à sa forme. On l’appelait le Champignon. C’était, en effet, une espèce de parasol en bois, ressemblant à ceux que les Françaises des halles ont dans les rues de Paris et qu’elles appellent, dans leur langage plus sentimental et plus imaginatif, un Robinson en l’honneur de Robinson Crusoë.

Le sommet de cette colline s’appelle Annette et Lubin» en référence au conte de Marmontel (1723-1799). Lorsque l’écrivain français s’inspire d’un fait divers local pour écrire son Annette et Lubin, histoire véritable, il n’est pas encore venu à Spa. Il a donc adapté assez librement l’anecdote : un frère et une sœur, élevés en sauvageons, ont un enfant de leurs amours innocentes, ce qui ne manque pas de scandaliser les autorités locales et… d’enchanter la belle société parisienne, sensible au mythe du bon sauvage, alors à la mode.

L’avenue Reine Astrid

Au fond du parc, emprunter la rue Hanster vers la gauche puis l’avenue  Reine Astrid vers la droite. Juste après une librairie musicale s’élèvent les bâtiments de l’ancienne Villa Royale. La reine Marie-Henriette, épouse de Léopold II y a vécu de 1884 à sa mort, en 1902. Aujourd’hui elle abrite le musée de la ville d’eaux et ses écuries ont été aménagées en musée du cheval.

Le musée de la ville d’eaux

La visite du musée de la ville d’eaux est particulièrement éclairante si l’on veut vraiment comprendre la vie des curistes d’antan. De plus, une riche collection de jolités de Spa – boîtes et objets de bois peint – illustre bien l’importance artistique et économique de cet artisanat local depuis le XVIIème siècle. Fenimore Cooper l’atteste dans ses notes de voyage :

Nous visitions les magasins, admirant et achetant les belles boîtes et ornements connus sous le nom d’ouvrages de Spa. Ce sont des objets faits avec le bois du pays, colorés par un dépôt de quelque temps dans l’eau d’une source, puis très bien peints et vernis. Des ouvrages similaires sont faits dans d’autres endroits, mais nulle part aussi bien qu’ici.

Dans Spa, ville pétillante, Pascale Panis raconte une anecdote “littéraire” qui illustre bien la célébrité des Jolités au XIX’ siècle. Ainsi, George Sandtentera de gagner sa vie en confectionnant des objets en bois de Spa. Elle n’y consacra pas moins de quatre années de sa vie !

La gare

En face de la Villa Royale, la rue de la Gare mène évidemment à la station. Longtemps, la plupart des hôtes de Spa arrivaient et repartaient par cette gare. L’un des moins sympathiques est sûrement le Kaiser, qui y prend le train juste après son abdication.

C’est aussi dans cette gare que le cinéaste André Delvaux a tourné en 1973 une scène célèbre de son film Belle. Cette scène, où l’on voyait la belle Adriana Bogdan, de dos et nue, était reprise sur l’affiche du film.

Le tour des fontaines à cheval, à vélo ou… en VTT

Cette promenade, longue d’une douzaine de kilomètres, peut tout autant être parcourue en voiture puisqu’elle emprunte des chemins asphaltés sur tout l’itinéraire. Le Tour des Fontaines, qui emmène le promeneur à la découverte des principales sources situées sur le versant méridional, est une vieille classique spadoise. En 1629 déjà, Pierre Bergeron évoque les étapes obligées du parfait curiste :

Entre plusieurs fontaines qui sont à Spa et aux environs, il y en a quatre principales et plus remarquables, à savoir : Pouhon, Sauvenier ou Savinière, Geronster et Tonnelet, dont les premières sont les plus usitées et hantées.

Deux siècles plus tard, Fenimore Cooper nous montre l’exemple :

Nous louâmes de petits chevaux ardennais qui paradaient continuellement dans les rues, conduits par des paysans en blouse, et nous fîmes ainsi quelques excursions dans les environs. Quelquefois, nous faisions ce qu’on appelle le Tour des Fontaines. Il y en a plusieurs, différentes les unes des autres par leurs propriétés médicales, et dont une seulement se trouve dans le village même, les autres étant à une distance d’un mille au plus.

Depuis l’Office du Tourisme, place Royale, emprunter, via la place Verte, la route de Barisart pendant deux petits kilomètres. Après avoir traversé la ville puis longé des villas, la route pénètre dans la forêt. Peu après, le pavillon de la source de Barisart apparaît sur la droite.

Continuer la montée pendant trois kilomètres ; trois virages en épingle à cheveux, une première route à gauche que l’on néglige puis, au second carrefour, s’arrêter à la hauteur du grand parking à droite. La source de la Géronstère se trouve devant l’auberge, en contrebas du parking.

Geronster est une autre fontaine à une bonne lieue de Spa, tirant vers le midi en montant, et au milieu des rochers et des bois, en un endroit assez désert, mal accommodé et peu accessible, pour être comme cachée entre de forts buissons et halliers. Celle-là est peu hantée pour être tenue plus violente et trop forte.

Si, au XVII’ siècle, Pierre Bergeron la tient pour peu fréquentée, un siècle plus tard, Jolivet signale sa célébrité et sa forte personnalité :

Pour la Géronstère qui est la plus fameuse, il est impossible de la boire qu’à la fontaine même. L’impression de l’air la plus légère lui fait perdre de sa qualité. Elle a le goût d’œufs absolument pourris.

Pour vous faire un avis personnel, il vous reste à la goûter !

Le musée de la forêt

La route qui continue à grimper conduit à l’ancienne ferme de Bérinzenne, qui se trouve aux abords immédiats de la Fagne de Malchamps. Aujourd’hui, Bérinzenne est devenu un intéressant musée de la Forêt. L’endroit a aussi donné son nom à un roman de Henri Davignon, intitulé simplement Bérinzenne.

La tour d’observation de Berinzenne aujourd’hui © baroudeursliegeois.com
La Sauvenière

Au sortir du chemin de la Géronstère, emprunter, juste en face, la route toute droite conduisant en trois kilomètres à la Sauvenière. Les sources se trouvent à droite de l’auberge, sous une galerie. Un neveu de l’historien florentin Guichardin, Ludovico Guicciardini (1521-1589), visitant la région en 1567, lui prête pas mal de vertus médicinales :

La plus estimée, certaine et universelle de toutes s’appelle Sauvenière, située sur un haut mont, laquelle guérit principalement de la fièvre tierce, du mal d’hydropisie, de la gravelle et de l’étique, nettoie l’estomac et rafraîchit le foie, dont fait très grand service à la goutte sciatique et aux autres gouttes d’espèce chaude. Elle a aucunement le goût du fer, toutefois ne se sent sinon après l’avoir avalée. (…) Ainsi cette eau, comme on peut voir, se conforme fort bien avec celle dont Pline fait mention…

Aujourd’hui encore, une coutume conduit les jeunes femmes qui souhaitent être enceinte à mettre le pied dans l’empreinte dite de saint Remacle, dont on peut voir la marque dans une dalle de pierre, à côté de la Sauvenière.

En 1619, Pierre Bergeron n’a pas connu l’aménagement actuel, mais il évoque déjà le fameux pied du saint ardennais :

La Sauvenier ou Savinière a sa source sur une montagne ou coteau, à une demi-lieue en environ de Spa, et sort des fentes et crevasses d’un rocher penchant. Le vase qui la reçoit est naturel et sans artifice quelconque et est bientôt épuisé pour sa petitesse. Le lieu est désert et affreux, encore qu’environné d’arbres parmi les rochers (…) A côté de cette fontaine, il y a une chapelle où en se retire pour se chauffer et boire à couvert, au. moins les dames. Tout contre le bassin où cette eau sourd est un endroit de rocher où il y a un trou en forme de pied, dans lequel ceux du lieu disent que si les femmes stériles y mettent le pied, elles deviennent fécondes et appellent cela le trou de saint Remacle, patron de Spa et jadis évêque de Liège.

Au milieu du XVIIème siècle, un autre pouhon a été édifié non loin par le baron de Gœsbeek et porte son nom. Comparez donc le goût des deux sources.

Le domaine du Neubois

Empruntez la petite route qui descend à droite juste après le bâtiment de la Sauvenière. Arrivé à l’orée de la forêt. au premier carrefour de plusieurs chemins, l’itinéraire continue tout droit. Jetez toutefois un coup d’œil en direction du domaine du Neubois (à gauche). C’est là que l’empereur Guillaume II a résidé en 1918.

La fontaine du Tonnelet

Poursuivre tout droit au carrefour suivant ; la fontaine du Tonnelet se trouve à l’extérieur du premier large virage à gauche. Vieille de trois siècles, la description que Pierre Bergeron donne de l’endroit ne correspond évidemment plus, encore que le curieux bâtiment actuel évoque bien un tonneau :

Le Tonnelet est à une petite demi-lieue en montant un peu vers l’orient, et une plaine assez étendue et marécageuse (…) Elle prend son nom à cause qu’elle est comprise dans un grand vaisseau de bois en forme de tonne. Son eau est la plus claire et argentine de toutes et la plus fraîche aussi en été.

Toujours à propos de cette source, comment ne pas citer Jolivet, dont les conseils médicaux ne manquent pas d’originalité :

On prend du Tonnelet des bains froids ; mais il faut avoir grand soin de s’y plonger la tête la première, autrement le froid refoulerait le sang vers la tête et ce ne serait pas sans un grand danger.

Continuer la route du Tonnelet puis descendre, à droite, la route de la Sauvenière pour rentrer au centre de Spa.

EN AVAL DE SPA JUSQU’À LA VESDRE

De Spa à Theux, la route (N62) suit le cours du Wayai dans une étroite vallée entourée de collines. Plusieurs auteurs ont jadis évoqué les ‘montagnes’ spadoises avec une grandiloquence certaine. Fenimore Cooper rend au mot sa vraie valeur :

S’il y avait une montagne, Spa devrait se trouver à ses pieds. Il y a certainement des collines hautes et accidentées, mais dans son ensemble, la région est simplement montueuse.

Winanplanche

Au bout de l’avenue de Marteau, une bifurcation mène au hameau de Winanplanche. Un de ses habitants n’est autre que Didier Comès. Né en 1942 à Sourbrodt, village mi-wallon mi-germanophone des Hautes Fagnes, Comès est sans doute plus un romancier en images qu’un bédéiste. Son œuvre – et particulièrement des titres comme Silence ou La Belette – est très influencée par ‘l’ardennitude’.

Cette trop brève évocation de Comès est l’occasion de citer d’autres noms dans une région riche en créateurs de bandes dessinées et en illustrateurs. Ainsi, dans un court rayon, nous pouvons rencontrer Marie-José Sacré et Guy Counhaye à Spa, le Chlorophylle et la Sybilline de Raymond Macherot à Polleur, la Prudence Petitpas de Maurice Maréchal à Theux, le Bobo de Paul Deliège à Olne, ou encore tout le bestiaire de René Hausman à Verviers.

Ruines de Franchimont

Les ruines de Franchimont se dressent au confluent du Wayai et de la Hoëgne. La construction du château date du XIème siècle. Juste Lipse l’admire en 1595 et Walter Scott l’évoque en 1810 :

The towers of Franchimont
Which, like an eagle’s nest in air
Hang over the stream and hamlet fair

Theux

Toute proche, la vieille cité de Theux possède une magnifique église-halle romane de la fin du XIème siècle, dédiée aux saints Hermès et Alexandre. Juste Lipse s’arrête à Theux pour y passer une nuit de juin 1595 :

Teu est assez grand et presque semblable à une petite ville, riche en habitants et en habitations. Il nous plut et nous nous y vîmes en parfaite sûreté. Nous soupons, nous dormons et nous nous rendons le matin à l’église.

En aval de Theux, la Hoëgne suit la route (N630) jusqu’à Pepinster où elle se jette dans la Vesdre. Remontons maintenant jusqu’à sa source.

Eupen

La Vesdre naît sur le plateau des Hautes Fagnes. Sauvage dans son cours supérieur, elle est assagie par le barrage d’Eupen avant de rejoindre le cœur de notre belle capitale germanophone.

Pourtant, ce n’est ni pour les charmes touristiques d’Eupen, ni pour son célèbre carnaval que le poète Christian Dotremont (1922-1979) y a séjourné plusieurs mois, mais pour son sanatorium universitaire, où il est admis le 21 juillet 1953. Souffrant de tuberculose, il se plaint pourtant à sa mère de ne plus pouvoir y fumer : “L’interdiction de fumer est désastreuse pour la santé”, lui écrit-il. Par contre, il apprécie ses compagnons d’infortune et la bibliothèque du sana :

Les malades sont pour la plupart des étudiants sages et ordonnés – il n’y a pas le moindre esprit de fronde. La bibliothèque est remarquable et je lis un livre par jour (Heidegger, Kierkegaard, poésie chinoise, etc.). Je sortirai d’ici drôlement cultivé.

Le 4 octobre, son ami Alechinsky vient à Eupen lui rendre visite. Deux jours plus tard, Dotremont lui écrit : “Ta visite-miracle a été merveilleuse, je me suis pendant deux heures ressenti moi-même, et cela m’aide et m’a beau-coup aidé.” Peu à peu, l’inventeur de CoBrA – comme le surnomme Françoise Lalande dans sa lumineuse biographie – retrouve son énergie. Il note : “Je suis bourré d’idées, dans mon alcôve – et je voudrais conquérir Paris.” En attendant, il écrit son roman La Pierre et l’Oreiller. Le 2 décembre 1953, Christian Dotremont quitte Eupen, un manuscrit sous le bras. Le lendemain, il est à Paris. L’ancien sanatorium universitaire était installé dans les bâtiments qu’occupe aujourd’hui la maison de convalescence Kneipp, au 6 de la Simarstrasse.

Au sortir, d’Eupen, la Vesdre borde la limite septentrionale de l’Hertogenwald, une des plus grandes forêts du royaume. En aval, c’est la capitale d’un ancien duché qu’elle arrose.

Limbourg

Ville miniature, perchée et perdue dans les temps anciens, Limbourg ne manque pas de charmes, avec sa place médiévale et son église gothique. Henri Davignon (1879-1964) la célèbre dans son roman L’Ardennaise :

La ville de Limbourg, assise sur les rochers qui dominent la vallée de la Vesdre, semble une retardataire dans le mouvement qui précipite gens et maisons aux centres de l’activité industrielle. Elle n’est plus qu’un groupe d’habitations silencieuses autour d’une place mal pavée où se profile l’ombre d’un clocher vétuste. Et toute sa fierté s’est réfugiée dans le prestige de son antique église.

Sur le versant sud de la rivière, au-delà du hameau de Hévremont, le château de la Louveterie et les forêts qui s’étendent jusqu’au lac de la Gileppe ont servi de cadre à deux romans d’Alphonse Noël, La malebête et La chèvre rouge.

Verviers

Verviers aussi a été une capitale, celle de la laine, et la ville a connu la prospérité, comme en témoignent son Grand-Théâtre et certains de ses édifices. Son nom reste attaché à une grande réputation musicale : Henri Vieutemps, Guillaume Lekeu y ont vu le jour. Mais ses peintres (le mouvement des Intimistes verviétois mériterait une éclatante reconnaissance à la suite des essais que leur ont consacré André Blavier et Georges Schmits) et ses écrivains ne sont pas en reste. Il suffit, pour s’en convaincre, de citer presque au hasard et à la diable, les noms de Christian Beck ou d’André Blavier, sur lesquels nous allons revenir, ou ceux des historiens Henri Pirenne et Luc Hommel, des dialectologues Jules Feller et Jean Haust, des poètes Albert Bonjean, Adolphe Hardy (Musée A. Hardy à Dison). Lucien Christophe, Maurice Quoilin, le fondateur de la revue L’Avant-Poste, Maurice Beerblock, le traducteur de Jérôme K. Jérôme, ou encore de Henri-Jacques Proumen, pionnier du roman de science-fiction… Tous Verviétois !

De plus, la ville a été longtemps associé e à la silhouette d’un curieux oiseau qui a fait le tour du monde : Marabout. Dans l’immédiat après-guerre, André Gérard développa à Verviers une aventure éditoriale étonnante en “inventant” le livre de poche en français – avant Paris ! – puis en lançant avec succès nombre de collections de romans populaires (l’écrivain Jean-Baptiste Baronian en dirigea plusieurs) et pour la jeunesse. Faut-il rappeler les Marabout-Junior puis les Marabout-Pocket et leur inusable Bob Morane, de Henri Vernes ; ou les Marabout-Mademoiselle, avec la Sylvie du Verviétois René-Philippe Fouya ?

La place du Marché

C’est place du Marché – ou dans certains bistrots de la ville ! – qu’il faut évoquer le plus ‘littéraire’ des bibliothécaires. En tournant le dos au bel hôtel de ville du XVIIIème siècle, on découvre la façade de la bibliothèque principale. André Blavier (1922-2001) y a officié une partie de sa carrière. Aujourd’hui, elle abrite aussi le Centre de Documentation Raymond Queneau.

En effet, grâce à l’amitié qui liait le père de Zazie et l’ancien bibliothécaire, Verviers a pu accueillir les archives de l’écrivain parisien. Blavier écrit dans La roupie de cent sonnets :

Sous l’œil tangentiel de meussieu de Blavier
Lifrelofre obscurci dont fronce le sourcil
Omniscient. Ce bibliothécaire en somme,
Chauve, grêlé, constrit, bancal, crétin,
n’est-il
Une encyclopédie en un seul petit
homme ?

Peut-on définir Blavier ? Oulipien, membre du Collège de Pataphysique, ami de Queneau, fondateur de la revue Temps Mêlés, bibliographe, poète, dramaturge pour marionnettes, critique d’art… Il a publié, parmi des centaines d’articles, plaquettes et monographies, Occupe-toi d’homélies et un essai presque mythique, Les fous littéraires.

André Blavier © DP

André Blavier a aussi tiré de l’oubli un personnage aussi multiple que mystérieux. En octobre 1965, Blavier organise à Verviers des Journées Christian Beck. Cet écrivain, né à Verviers en 1879, est si méconnu que certains édiles croient d’abord à un canular de leur facétieux bibliothécaire ! Ils sont bientôt détrompés en constatant la présence, à la séance inaugurale, de Marcel Thiry, Secrétaire perpétuel de l’Académie Royale, de Michel Décaudin, professeur à la Sorbonne, ou de Béatrix Beck, fille de Christian et Prix Goncourt 1952 pour son roman Léon Morin, prêtre. Il faut dire que Christian Beck a quitté dès l’âge de seize ans sa ville natale pour Paris. Là, il fréquente Maeterlinck, Claudel, Francis Jammes, Charles-Louis Philippe. Il devient le nègre de Willy, le familier de Gide (qui en fait le personnage de Bercail dans Les faux monnayeurs) et l’ami d’Alfred Jarry. Dans son Ubu Roi, Jarry met Beck en scène sous les traits lunaires de Bosse de Nage. On connaît mal la bibliographie de Christian Beck, qui publia souvent sous des pseudonymes. Albert Mockel tenait Le papillon, journal d’un romantique pour “l’un des plus beaux livres parmi tous ceux qui se sont épanouis dans nos lettres.” Beck ira encore rendre visite à Tolstoï en Russie… à pied I Il meurt en 1916, âgé de 37 ans.

Pepinster

Après avoir traversé d’anciennes banlieues industrielles, la Vesdre reçoit la Hoëgne à Pepinster. Au-delà de cette localité, la rivière retrouve un peu de son caractère ancien, décrit avec enthousiasme par Victor Hugo durant l’été 1840 :

La Vesdre est une rivière torrent qui descend à travers Verviers et Chauffontaines, jusqu’à Liège, par la plus ravissante vallée qu’il y ait au monde. Dans cette saison, par un jour avec un ciel bleu, c’est quelquefois un ravin, souvent un jardin, toujours un paradis. (…) Entre Chauffontaines et Verviers, la vallée m’apparaissait avec une douceur virgilienne. Il faisait un temps admirable, de charmants marmots jouaient sur le seuil des jardins, le vent des trembles et des peupliers se répandait sur la route, de belles génisses groupées par trois ou quatre se reposaient à l’ombre, gracieu-sement couchées dans les prés verts.

Le château des Mazures

Un kilomètre en aval de Pepinster, la Vesdre longe le château des Mazures et contourne un éperon rocheux surmonté d’une tour ruinée. C’était le domaine familial du vicomte Henri Davignon :

Les Mazures, lieu-dit fort ancien connu sur les plus vieux documents, doivent tout à leur conformité aux choses, à la tradition. Limite géographique de l’Ardenne, le cours de la Vesdre les sépare du versant Nord de la vallée au sommet duquel commence le plateau herbager du pays de Herve… Une pointe de pierre, couverte de taillis, oblige la rivière à une courbe prononcée et met au milieu de la vallée une mince presqu’île que chevauche la tour d’une ruine presque authentique, Le faîte, où nous avons fait flotter un drapeau, est comme suspendu entre ciel et terre. J’ai imaginé d’y passer des jours entiers pendant les mois où je me crus poète. Victor Hugo ne l’a-t-il pas notée (la ruine), en route pour son voyage sur le Rhin, quand la diligence le mena de Chaudfontaine à Verviers ? la fausse ruine semble avoir été mise là exprès pour lui, comme un avant-goût de son inspiration des Burgraves.

Une belle forêt sépare les Mazures de Tancrémont. le sommet du versant sud de la vallée. C’est à Tancrémont que Davignon situe le cadre de son roman Le vieux bon Dieu. Ce vieux bon Dieu de Tancrémont suscite depuis fort longtemps un pèlerinage toujours vivace. La statue vénérée est un exceptionnel christ en bois du XIIème siècle. Elle est exposée dans une petite chapelle que l’on peut rejoindre soit en voiture (route N666 Pepinster-Louveigné), soit à pied depuis l’orée du domaine par de rudes chemins forestiers (carte IGN 42/7-8).

Depuis la chapelle, la route offre un panorama vers la Hoëgne et sa ‘Fenêtre de Theux’. Davignon l’évoque dans son roman Le sens des jours :

La jeune femme se releva ; ses yeux embrassèrent le panorama de la vallée de la Hoëgne, avec les hauts plateaux ardennais, vers l’Allemagne. (…) Dans les creux sombres de la vallée, le brouillard déroulait déjà, au-dessus des maisons de Juslenville, les écharpes grises dont il allait enserrer les flancs de la colline de Rudement. On commençait à ne plus distinguer nettement les ruines du château fort qui protège de ses vaines murailles l’ancien bourg de Franchimont.

La route mène en trois kilomètres à un autre lieu de pèlerinage. “De Banneux à Tancrémont, il n’y a que la distance qui sépare la mère de son fils“, écrit Joseph Delmelle dans Au temps de ma Meuse.

Fraipont

Par Goffontaine et Nessonvaux, reprenons le fil de la Vesdre jusqu’à Fraipont. Juste Lipse (1547-1606) l’évoque dans ses souvenirs de voyage. Poursuivi par des hommes d’armes depuis Theux, il s’y embarque en juin 1595 pour Liège. “Nous fuyons vers les montagnes sous la conduite d’un paysan; puis, de là, au travers des forêts ; enfin nous arrivâmes au village de Fraipont, où se trouve une rivière navigable.”

Le romancier et critique Pierre Pirard (1904-1989) a vécu son enfance à Fraipont, dans une fort modeste maison du Pied du Thier, au bord de la rivière. Longtemps chroniqueur littéraire à La Libre Belgique, ce père assomptionniste a publié plusieurs romans, dont La Saint-Jean d’été, qui a pour cadre son village natal.

À l’entrée de Trooz, peu avant le viaduc du chemin de fer, la Vesdre coule au pied d’un étonnant édifice de style renaissance mosane qui n’a pas échappé à Victor Hugo :

La route ne quitte pas un moment la rivière. Tantôt elles traversent ensemble un heureux village entassé sous les arbres, avec un pont rustique devant chaque porte ; tantôt, dans un pli solitaire du vallon, elles côtoient un vieux château d’échevin avec ses tours carrées, ses hauts toits pointus et sa grande façade percée de quelques rares fenêtres, fier et modeste à la fois comme il convient à un édifice qui tient le milieu entre la chaumière du paysan et le donjon du seigneur.

Jusqu’au confluent avec l’Ourthe à Chênée, c’en est maintenant fini de la vallée virgilienne évoquée par Victor Hugo il y a un siècle et demi. À Chaudfontaine pourtant, la rivière retrouve quelques collines arborées, le temps de saluer celle que Hugo avait surnommée “la violette des villes d’eaux.” Chaudfontaine, connue pour ses sources thermales, a également lié son nom à la première œuvre littéraire importante en liégeois. Il s’agit d’un opéra burlesque écrit par Simon de Harlez (1716-1781) avec J-J Fabry, P-G de Vivario et P-R de Cartier de Marcienne. Li voyèdje di Tchôfontinne a été créé à Liège en 1757 sur une musique de Jean-Noël Hamal.

Christian Libens & Claude Raucy


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, partage, correction, édition et iconographie | sources : LIBENS C. & RAUCY C., Sur les pas des écrivains en Ardenne (1999) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DP ; © Collection privée ; © wikimapia ; © sparealites.be ; © baroudeursliegeois.com.